Octobre 2013
Quand nos ancêtres ont
découvert les espagnols, l'Amérique n'existait pas encore. Le 12
octobre n'existait pas et 1492 non plus. Aujourd'hui, alors que nous
continuons de découvrir peu à peu les stratégies qu'ils utilisent
pour imposer leur projet de Mort, nous, les communautés et les
peuples, nous nous soulevons, en parole et en actes dans nos
territoires, pour dire aux conquistadors que nous ne voulons pas de
Traités de Libre Commerce (TLC), que nous n'acceptons pas le pillage
de notre Terre Mère et que nous n'allons pas continuer à recevoir
vos miroirs1.
Notre lutte continuera son chemin pour la défense et la construction
de la vie, du territoire et de la paix dont nous rêvons, depuis la
base et entre les peuples.
A tous et toutes les
agents au service de ce projet de Mort, d'où qu'ils viennent, nous
leur rappelons que notre Terre Mère n'est pas une marchandise. Elle
n'est pas en vente. Elle n'a pas de prix. Notre conscience malgré
les difficultés et contradictions continue de croître, continue de
résister et veut se tisser aux autres luttes et alternatives
qui, dans chaque coin de Abya Yala (Amérique Latine), construisent
une parole et des actions dignes de fils et filles de la Terre Mère.
Notre temps n'est pas et ne sera jamais celui de la spoliation et du
mépris mais celui des rythmes de la vie. Nous allons pousser à ce
que l'autonomie n'existe pas seulement dans notre discours, faire en
sorte qu'elle ne soit pas une mascarade, une parole vide ou un
prétexte, pour que la création et la défense des autonomies soit
une pratique concrète qui nous permette de vivre dignement et en
liberté.
Nous n'allons donc pas
seulement prolonger la mobilisation contre le modèle économique de
l'extractivisme et du soit-disant « libre » commerce ;
la terreur et la guerre qui nous extermine et nous déplace ; la
législation de dépossession qui veut nous soumettre, nous allons
également continuer à construire notre société-autre et exercer
depuis la base notre contrôle territorial face à tout acteur armé
ou fléau qui dés-harmonise notre territoire. Nous l'avons fait,
malgré les contradictions et les difficultés. Actuellement, nous
pouvons donner des exemples dans nos Resguardos, en
particulier à Toribío, Canoas, Munchique, Jambaló, entre autres.
Les communautés de base continuent de dire Non à la militarisation
de nos lieux sacrés ; Non au mauvais usage de la plante sacrée
et au narcotrafic ; Non à la guerre et aux acteurs armés ;
Non à l'exploitation minière ; Non à la privatisation des
biens communs ; Non aux décisions autoritaires sans
consultation. Une avalanche de Non à tout ce qui menace l'autonomie
et consolide la conquête, d'où qu'elle vienne.
Pour toute cette douleur
qui nous rend malade dans nos territoires, conséquence de la
perpétuation de la conquête, nous allons nous mobiliser. Nous
allons continuer de prôner l'autonomie depuis la base. Nous allons
marcher pour dénoncer tout ce qui dés-harmonise notre relation avec
la Terre Mère et le risque imminent que courent nos Plans de Vie
avec l'implantation du modèle minéro-énergétique. Nous allons
marcher car la douleur du paysan, de l'afro, du métisse, de l'urbain
est la nôtre. Nous allons nous mobiliser car la douleur de la Terre
Mère est nôtre et si elle meurt, nous aussi nous nous éteindrons
avec elle. Nous allons manifester car c'est la vie qui est en danger.
Danger annoncé et
dénoncé durant des dizaines d'années par les communautés et les
peuples décidés à affronter avec une conscience convertie en
chemin à suivre. Chemin et conscience qui ont été formulés, entre
autres, lors de la Consultation Populaire face aux Traités de Libre
Commerce (TLC) avec les États-Unis réalisée en mars 2005, et
depuis la Minga (2004-2008). A cette occasion, des routes ont été
tracées pour transformer un pays de maîtres et sans peuple en un
pays des peuples sans maître, avec une plate-forme politique de 5
points élaborés à partir de la douleur, la parole et l'expérience
des communautés, conscientes de cette nouvelle imposition de la
Conquête, masquée par l'euphémisme de « libre commerce ».
Les communautés nous ont alerté avec clairvoyance du risque
imminent pour la vie toute entière et pour la Terre Mère. Un
programme de résistance et d'alternative au libre commerce que des
milliers de villageois et villageoises ont porté dans et depuis
leurs territoires, parcourant le pays lors de la Minga de Résistance
Sociale et Communautaire de 2008, qui, en fin de compte, n'a pas pu
être ignorée et dont la graine a été semée dans la terre fertile
de la résistance.
Les années obscures et
difficiles de la confusion et de l'oubli apparent continuent avec,
comme toujours, son lot de persécution, manipulation des arguments,
mensonges, convoitises, autoritarismes, contrôle par les
dénonciations de ceux qui osent - ou ont osé – exiger la défense
des espaces de débat et de réflexion critiques et ouverts dans la
communauté qui permettent de passer au dessus du pouvoir et que la
vérité tissée de manière communautaire soit toujours présente.
Nous avons sentis et nous sentons encore la douleur de la
dépossession et de l'abandon du chemin pour la vie, remplacé par le
froid calcul de l'intérêt particulier qui se sert de tous, manipule
et pénètre tout ; et même nos processus d'organisation.
Nous continuons et nous
avons continué en sachant que la graine de la Minga face au « libre
commerce » et à la Mort, devait être protégée. Mais on
aurait dit qu'il n'y avait pas de terre fertile pour la sauver. Nous
avons donc été remplis de joie lorsque des milliers de paysans et
paysannes de divers secteurs de l'agriculture ont paralysé le pays,
justement soulevés contre le modèle économique et son soit-disant
libre commerce.
La graine rencontrait un
terrain fertile dans les mains de gardiens habitués à travailler la
terre, produire des fruits et des aliments et, en conséquence,
souffrir de la spoliation de la conquête définitive aux mains de
l'extractivisme. Dans la diversité et la dispersion, ce sont
justement les semences qui les ont fait se soulever et se mobiliser
dignement lors de la Grève Nationale Agraire. La parole de la Terre
Mère, la même qui nous avait amené à réaliser la Minga, se
convertit aussi pour la paysannerie en programme de résistance à la
Conquête du « libre commerce ». C'est la défense de la
vie, l'appel de Mama Kiwe (Terre Mère), l'origine et le destin de
notre lutte. Ainsi, notre lutte commune, cette Minga, n'a pas de
maîtres ni d'autorités, et ne doit pas en avoir. Ainsi, se soulever
en Minga c'est obligatoirement refuser ceux qui ont prétendu
commander, d'où qu'ils viennent. L'autorité c'est la vie elle-même
et la Terre Mère, mobilisées à travers les peuples en résistance
qui la reconnaissent encore et la respectent.
Comme nous l'avons dit
depuis des dizaines d'années, nous savons aussi que ce dont nous
avons besoin n'existe pas encore et que nous n'avons pas encore de
mots pour le définir : cependant ce quelque chose se trouve
dans les territoires et dans leurs offrandes de biens communs, comme
l'eau, sans lesquelles il n'est pas possible de vivre. Cependant nous
savons aussi que ce système, ce projet de mort comme nous avons
appris à le reconnaître et à le nommer pour lui résister, est en
crise et pour dépasser cette crise il doit nous déposséder de nos
territoires – physiques ou imaginaires -, de nos volontés
autonomes et collectives, nous recruter, nous éliminer et extraire
le sang et la vie de notre Terre Mère pour alimenter son insatiable
cupidité. Pour les conquistadors et leurs complices les peuples sont
de trop, ils menacent donc nos consciences et éliminent la vie. Leur
accumulation capitaliste ne peut plus s'arrêter. C'est pour cela
qu'il est urgent non seulement de comprendre ce projet de mort pour y
résister, de construire des alternatives et de se mobiliser pour
tisser entre peuples, mais aussi retrouver le chemin d'un autre
monde, possible et nécessaire, dépasser les confusions avec
lesquelles ils nous achètent et nous trompent pour qu'on se rende.
« Ne pas se vendre,
ne pas se rendre et ne pas se laisser tromper » sont les leçons
pratiques de ceux qui ne tombent jamais dans le piège que nous
tendent les mauvais gouvernements et leurs complices, d'où qu'ils
viennent. Il est nécessaire de rappeler que lorsque nous n'avons pas
d'agendas propres, nôtres, ceux qui nous les imposent nous
soumettent. De la même manière, si ce n'est pas notre agenda qui
nous mobilise, nous obéissons aveuglement, trompés, aux intérêts
de ceux qui nous évincent pour que nous soyons les victimes, les
héros, les morts et les blessés utiles à leurs projets. Pour que
notre parole chemine nous devons l'élaborer collectivement, avec
autonomie et depuis la base. C'est l'unique manière de nous défaire
d'eux, ceux qui nous volent et nous utilisent, d'où qu'ils viennent.
C'est en ce sens que nous
pensons que les mobilisations et actions directes que nous menons
pour défendre la vie et le territoire, ne doivent pas être
utilisées par quelques-uns, uniquement pour atteindre les résultats
qu'ils promettent d'obtenir lors de négociations avec le mauvais
gouvernement, tout en évinçant nos décisions et positions
collectives. Car, finalement, nous ne luttons pas pour qu'ils nous
donnent un espace dans le projet de mort ni des postes au sein des
mauvais gouvernements, mais pour que nos plans de vie et nos bons
gouvernements les remplacent pour toujours.
Lors de cette
mobilisation, durant le mois que l'occident a baptisé de la
« découverte », nous réaffirmons qu'octobre est le mois
qui nous rappelle à la mémoire les millions d'indigènes exterminés
et les milliers de cultures enterrées, le souvenir du début du
génocide, la conquête et la spoliation de notre Abya Yala. C'est
pour cela que nous ne fêtons rien. Nous nous soulevons pour nous
continuer de nous opposer à la conquête qui se perpétue avec de
nouvelles stratégies, plus sophistiquées et plus perverses pour
nous dominer et nous coopter. Nous nous mobilisons pour crier au
monde que nous avons résisté pendant plus de 520 ans et que nous
sommes le futur et la vie. Nous allons continuer à marcher en
défense de la vie et de la Terre Mère.
Nous commémorons un
futur nécessaire qui est tissé avec tous les êtres de la vie
depuis toujours et nous le faisons en marquant notre temps. Pour
cela, nous avons nommé une date impossible, qui n'a jamais existé
et ne pouvait être : le 11 octobre 1492. Impossible car jusqu'à
ce jour l'Amérique n'existait pas, et le calendrier du spoliateur
avec son temps pour nous conquérir non plus. De la même façon
qu'il y a eu un avant qui n'est jamais rentré dans le calendrier de
la Conquête, aujourd'hui nous nommons sans parole « l'après »
qui nous soulève, un temps qui viendra et qui est toujours resté
dans nos cœurs. Le temps de la vie et de la liberté de ceux de la
base, de ceux qui sont près de la terre. Sans nous rendre, ni nous
vendre, ni nous laisser tromper : nous retournons à la Grande
Maison de la Terre Mère.
Tissu de Communication –
ACIN.
1 En
référence aux miroirs que les conquistadors ont « troqué »
contre des lingots d'or aux indigènes. Stratégie que continuent
d'appliquer les gouvernements actuels en distribuant des miettes
pour acheter la paix sociale (note de la traductrice).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire